Ce texte a été publié le 17 Octobre 2019 dans le quotidien Camerounais Mutations sous le titre: *[ Pour une citoyenneté camerounaise émancipatrice, au coeur des pratiques démocratiques, et de bonne gouvernance. Tirer des leçons de l’organisation de l’Union Démocratique des Femmes Camerounaises (UDEFEC).]*

Au bord de l’implosion et en proie à un autoritarisme croissant, le Cameroun vit une fois de plus une situation troublée.

Arrestations arbitraires, harcèlement de militant·e·s d’opposition par les autorités, obstructions à l’exercice des libertés de réunion et d’expression, ostracisation de groupes socioculturels, construction de boucs émissaires sont autant de maux désormais légion dans l’espace public camerounais contemporain. Cette situation critique et inquiétante rappelle par certains égards le contexte du milieu des années 1950.

Une période où toute expression politique dissidente était fortement réprimé, alors que le mouvement nationaliste (composé de l’UPC, l’UDEFEC et la JDC) a été contraint à la clandestinité du fait de son interdiction.

Comme à la fin des années 1950, la pays fait face aujourd’hui à des enjeux importants en terme de (re)fondation de la nation Camerounaise, pour faire émerger une citoyenneté émancipatrice.

Alors que la résignation et la peur semblent gagner du terrain, il est plus que jamais utile de faire un détour historique, et réactiver l’appel à la lutte de l’UDEFEC.

Mouvement nationaliste féminin allié à l’UPC, l’UDEFEC est composé d’héroïnes camerounaises ordinaires, qui ont lutté contre le régime colonial, qu’elles désignaient comme une imposture source de déstabilisation et de destruction qui conduit à l’impasse.

Les discours et pratiques qu’elles ont mobilisés au plus fort de la lutte à la fin des années 1950, alors qu’elles sont contraintes à poursuivre la lutte dans la clandestinité, sous maquis, nous offrent une boussole qui aide à maintenir le cap et à poursuivre la lutte pour l’émergence d’une nation véritablement démocratique et soucieuse de justice sociale.

*La souveraineté populaire au-delà du principe, une pratique*

La persévérance des militantes nationalistes à animer un espace politique contre-hégémonique régit par la conception de la participation politique, comme une véritable prérogative populaire, est une invitation à appliquer la démarche nationaliste.

Il s’agit de concevoir la souveraineté populaire comme une dynamique inclusive reposant sur une assise large, composée de militant·e·s qui transcendent les barrières sociales et générationnelles.

À cet effet, l’ensemble des catégories de la population, en terme de classes sociales (lettrées/illettrées, bourgeoisie/classes populaires, urbains/ruraux…), et de classe d’âge (jeunes/vieilles) est mobilisé, afin de développer une participation politique inclusive.

Celle-ci suppose alors que ces catégories aient accès à tous les échelons des structures qui organisent le mouvement, et notamment aux instances de direction.

Il s’agit de valoriser une approche fédératrice, dans laquelle les différentes parties prenantes sont interdépendantes.

La diversité au coeur de la construction d’une souveraineté populaire ne saurait cependant être régit par l’indiscipline.

Ce que nous propose les militantes de l’UDEFEC, c’est d’organiser l’expression des différents éléments de cette mosaïque sociale, dans le cadre de procédures routinières de débats, à l’issue desquels on délibère.

*Le débat et le vote comme outils d’émancipation*

Au-delà des discours sur la citoyenneté, les procédures qui régissent le fonctionnement de l’UDEFEC incarnent la citoyenneté émancipatrice, à laquelle l’organisation aspire.

L’objectif est de s’affranchir de l’autoritarisme politique, des hiérarchies sociales et de toute autre forme de subordination.

Pour ce faire, le débat, l’écoute et le vote sont valorisés comme procédures de bonne gouvernance démocratique.

Les militant·e·s sont invitées à pratiquer une écoute attentive de chaque orateur ou oratrice avant d’engager le débat. Et ce n’est qu’à l’issu de celui-ci, qu’on procède au vote.

Dans cette perspective toutes les personnes présentes ont droit à la parole, et toutes les décisions, mais également toute désignation de responsable au sein de l’organisation résultent de ce processus.

D’ailleurs les responsables de L’UDEFEC, déclarent que l’organisation « condamne tout acte destiné à tuer la Démocratie de son Organisation et promet des sanctions contre toute militante » qui y dérogerait, quelque soit sa qualité.

Les responsables nouvellement élues sont exhortées à travailler de concert avec les militant·e·s de base, à tous les échelons, mais également à rendre compte du mandat qui leur a été confié. Être élu·e c’est donc recevoir un mandat dont on est comptable!

*Être élu·e une fonction investie de responsabilités*

Dans la perspective que nous propose l’UDEFEC, et du mouvement nationaliste dans son ensemble, l’élection est un mandat.

À ce titre, il comporte pour l’élu·e, une obligation principale : se rappeler qu’elle/il détient ses fonctions du peuple.

Cette attitude suppose alors non seulement que l’élue travaille avec celles et ceux qui l’ont élu·e, mais aussi qu’elle/il leur rende compte et satisfasse leurs exigences sous peine d’être révoquer. Les électeurs et électrices ont donc un pouvoir de contrôle sur les élu·e·s.

Les militantes de l’UDEFEC n’ont pas hésité à faire usage de ce droit de révocation. A chaque fois qu’elles ont constaté que la faillite ou les abus des responsables élues, elles les ont dénoncé et on initié des procédures en vue de leur révocation.

En somme, au moment où l’autoritarisme et la médiocrité sont érigés en principes absolus de gouvernance au Cameroun, l’histoire du mouvement nationaliste nous enseigne qu’il est plus que jamais indispensable que les forces de Résistance poursuivent la lutte.

Celle-ci doit se faire sur la base d’une union, et d’une organisation, dont les modalités incarnent le projet d’avenir qu’elles proposent aux populations.

Ce projet doit impérativement être inclusif, démocratique, et orienté vers la justice sociale.

Docteure Rose Ndengue, chercheure en sciences politiques et activiste féministe*